Il y a cinq ans, Peter Hartz, directeur du personnel de Volkswagen et ami de longue date de Gerhard Schröder, présentait en grande pompe au chancelier d'alors une batterie de réformes sociales d'inspiration libérale qui devaient "diviser le chômage par deux". L'Allemagne comptait plus de 4 millions de chômeurs, le chancelier jouait sa survie politique. Depuis, l'un et l'autre ont disparu de la vie publique, le premier emporté par un rocambolesque scandale de corruption, le second désavoué par les électeurs et la base du Parti social-démocrate (SPD), qui n'aura approuvé que du bout des lèvres ces réformes, les plus profondes de l'Etat-providence allemand d'après-guerre. …
Aujourd'hui, le chômage a considérablement baissé, grâce à une conjoncture internationale favorable et aux exportations records du made in Germany. Mais la pauvreté est devenue le quotidien de millions d'Allemands. Et les lois "Hartz" sont montrées du doigt. La plus controversée, Hartz IV, sur la refonte des allocations chômage en fonction de critères parfois très personnels, est accusée d'avoir institutionnalisé la pauvreté. "Hartz est synonyme d'un grand désarroi social", tonne Annelie Buntenbach, vice-présidente de la puissante confédération syndicale DGB.
Le 16 août 2002, en acceptant de mettre en oeuvre le projet, Gerhard Schröder s'engageait sur une voie qui allait le rendre vite impopulaire, dans un pays très syndiqué où l'emploi est traditionnellement stable, réglementé et cher.
Introduites en quatre vagues successives, les réformes de Peter Hartz, artisan de la flexibilité chez Volkswagen, brisent les tabous de la gauche : réduction du coût du travail et des allocations, incitation à accepter un emploi en dessous de ses qualifications sous peine de sanction, dérégulation, encouragement de l'individualisme économique… L'autre aspect porte sur une réorganisation de l'administration fédérale de gestion du chômage vers plus de compétitivité.
Certaines mesures ont vite périclité, comme les "agences de service personnel", censées mieux vendre les chômeurs directement auprès des entreprises, ou les "jobs à 1 euro" de l'heure, bien en deçà des conventions collectives.
Phénomène de mode, la "Ich-AG", sorte de "société par actions à moi tout seul", connut son heure de gloire : un bénéficiaire recevait une indemnité régulière pour mener à bien un projet professionnel individuel. Mais elle aussi a été abandonnée, en raison de la difficulté à évaluer le sérieux des demandes. Restent les 7 millions de "mini-jobs" peu qualifiés, rémunérés à 400 euros maximum, dont la part de cotisation patronale est réduite et forfaitaire, et qui n'offrent pas de garantie d'emploi à long terme.
La mesure la plus emblématique reste Hartz IV, plus que jamais d'actualité au moment où des ménages en sont réduits à compter chaque centime pour pouvoir payer le lait, le beurre et le fromage, dont les prix viennent d'augmenter. Elle réduit à douze mois (contre trente-deux auparavant) la période de versement des allocations chômage. Au-delà, le chômeur, dit de longue durée, reçoit une indemnité de 350 euros environ, s'il vit seul. Hartz VI a fait descendre des centaines de milliers de gens dans les rues, qui protestaient notamment contre le fait qu'un bénéficiaire puisse être appelé à prendre un logement plus petit en fonction de ses revenus. En avril, 7,4 millions de personnes bénéficiaient de ces allocations.
Résumant l'avis général, le social-démocrate Wolfgang Clement, le ministre du travail ayant endossé ces réformes, juge à l'occasion de leur cinquième anniversaire qu'elles ont "changé les mentalités en Allemagne. On vit aujourd'hui beaucoup moins dans l'idée que l'Etat peut tout financer".